L’année vidéoludique 2025 restera sans doute marquée par l’une des propositions les plus clivantes de la décennie : Shadow Labyrinth. Annoncé comme une bombe lors des Game Awards 2024, ce projet de Bandai Namco avait tout pour devenir un chef-d’œuvre : la réinvention totale et sombre de l’icône Pac-Man en un Metroidvania exigeant pour son 45e anniversaire. L’idée seule était un coup de génie, une promesse de fraîcheur et d’audace dans une industrie souvent accusée de frilosité. Cependant, depuis sa sortie en juillet dernier, une question hante les forums : la vision artistique a-t-elle été à la hauteur de l’exécution ? Car derrière sa direction artistique spectaculaire et son concept irrésistible se cache un jeu qui a profondément divisé. Shadow Labyrinth est une œuvre de contradictions, un titre capable de susciter des moments de grâce pure avant de plonger le joueur dans des abîmes de frustration. Sans attendre, voyons de quoi il en retourne dans notre test, les amis !

Scénario
Sur le papier, la trame narrative de Shadow Labyrinth est une réécriture d’une intelligence rare. Transformer l’univers simple et coloré de Pac-Man en une saga de science-fiction sombre est une prouesse conceptuelle. L’idée de faire du joueur l’Épéiste n°8, un serviteur anonyme de la sphère d’énergie PUCK, pour purger la planète Xylos des Gardiens spectraux (les anciens fantômes) est une base narrative solide. L’histoire, racontée par fragments environnementaux, descriptions d’objets et échos spectraux, promet une immersion profonde pour le joueur prêt à s’investir dans la reconstitution de ce puzzle tragique. Les thèmes abordés – la manipulation, la nature subjective de l’Histoire, la perte d’identité – sont matures et ambitieux. Cependant, cette approche narrative, inspirée par la formule des jeux FromSoftware, s’est avérée être une arme à double tranchant qui a laissé de nombreux joueurs sur leur faim. Le principal reproche adressé au scénario est son caractère excessivement cryptique, qui bascule souvent de l’énigmatique au simplement vide. Là où certains jeux excellent à distiller leur histoire avec subtilité, Shadow Labyrinth donne souvent l’impression de retenir l’information sans réel dessein. Le fil conducteur est si ténu qu’il est facile de le perdre, et la quête perd alors de son sens et de son urgence.
La progression se fait plus par nécessité de gameplay que par véritable envie de découvrir la suite des événements. Le personnage principal, l’Épéiste n°8, est au cœur de ce problème. En tant que protagoniste muet et sans passé explicite, il est un « vaisseau vide ». Si cette approche peut fonctionner pour favoriser l’immersion, elle échoue ici à créer le moindre lien émotionnel. L’Épéiste est un simple outil, une fonction, et jamais le joueur ne ressent son drame personnel ou les enjeux de sa quête. Cette distance émotionnelle est un frein majeur, qui empêche de s’investir pleinement dans le destin de ce monde. En résulte une narration à deux vitesses : d’un côté, un lore incroyablement riche et fascinant pour ceux qui auront la patience de lire chaque description et de connecter chaque indice ; de l’autre, une histoire principale qui semble distante, désincarnée et finalement peu gratifiante. L’ambiguïté morale de PUCK et les fins multiples sont des idées louables, mais elles manquent d’impact car l’attachement aux enjeux n’a jamais été solidement établi. En voulant être subtil, le scénario de Shadow Labyrinth devient malheureusement souvent obscur, laissant un sentiment de potentiel narratif immense, mais largement inexploité.

Gameplay
C’est sur le terrain du gameplay que Shadow Labyrinth révèle ses plus profondes contradictions. Le jeu propose un système de combat et de déplacement qui, en théorie, a tout pour plaire : des combos rapides, une parade exigeante, des compétences spéciales liées à une jauge d’énergie (l’ESP) et la mécanique de « Dévoration » qui promet des retournements de situation spectaculaires. Sur le papier, c’est un ballet mortel, rapide et technique. Pourtant, c’est manette en main que la vision des développeurs se heurte à une réalité plus frustrante, marquée par un manque de finition qui affecte l’ensemble de l’expérience. Le premier point de friction concerne la réactivité des contrôles. L’Épéiste n°8 souffre d’une légère latence dans ses actions, une inertie qui, si elle est gérable lors de l’exploration, devient un véritable handicap lors des combats intenses. Les fenêtres pour parer les coups sont extrêmement courtes, et cette imprécision des commandes rend la manœuvre bien plus aléatoire qu’elle ne le devrait. À cela s’ajoute une gestion des hitboxes souvent approximative. Il n’est pas rare de se faire toucher par une attaque qui semble visuellement avoir été esquivée, ou à l’inverse, de voir ses propres coups traverser un ennemi sans effet. Ces problèmes transforment des affrontements qui se voudraient techniques et stratégiques en épreuves parfois brouillonnes, où la mort semble plus souvent due aux caprices du jeu qu’à une erreur du joueur. Le level design, bien que souvent inspiré, souffre lui aussi d’une exécution inégale. Pour chaque zone brillamment conçue, pleine de secrets et de raccourcis intelligents, on trouve des passages inutilement longs et répétitifs, qui donnent l’impression d’avoir été étirés artificiellement pour gonfler la durée de vie.

La difficulté du jeu est un autre sujet de débat. Une difficulté élevée n’est pas un défaut en soi, mais dans Shadow Labyrinth, elle est souvent injuste. Elle ne découle pas uniquement de la complexité des ennemis, mais aussi du placement sadique de certains points de sauvegarde, obligeant à refaire de longues sections après chaque échec. De plus, la courbe de progression impose des phases de grinding qui cassent le rythme de l’exploration (et ce dès le premier marchant qu’on rencontre). Le joueur est souvent contraint de passer du temps à tuer en boucle les mêmes ennemis pour gagner le niveau nécessaire à la survie dans la zone suivante, une mécanique datée qui dénote dans un Metroidvania qui se veut moderne. En somme, le gameplay de Shadow Labyrinth est une source constante de « je t’aime, moi non plus ». Les moments de grâce existent, quand une séquence de combat ou de plateforme fonctionne parfaitement. Mais ils sont trop souvent entrecoupés de pics de frustration intenses, nés de défauts techniques et de choix de design qui empêchent le jeu d’atteindre la fluidité et l’élégance des maîtres du genre.

Graphismes
Si le débat fait rage sur la plupart des aspects de Shadow Labyrinth, il y a un domaine où le consensus est quasi unanime : sa direction artistique est une réussite. Le choix d’un style en 2.5D est ici magnifié par un talent artistique indéniable. Les arrière-plans en 3D offrent une profondeur de champ, dépeignant un monde mourant avec une beauté tragique. Chaque plan est une peinture numérique, riche en détails et en atmosphère. La fusion entre le cyberpunk, l’organique cauchemardesque inspiré de Giger et les vestiges d’une technologie ancienne donne naissance à un univers visuel d’une cohérence et d’une originalité. On ne se lasse pas (visuellement) d’explorer les différents biomes de la planète Xylos, tant chacun propose une identité forte et mémorable. Des rues pluvieuses d’une métropole déchue aux laboratoires aseptisés mais maculés de sang, en passant par les forêts de cristal bioluminescentes, le voyage est un enchantement visuel. La palette de couleurs, principalement froide et désaturée, est intelligemment rehaussée par des sources de lumière vives – le halo jaune de PUCK, le rouge des attaques ennemies, les néons qui grésillent – créant des contrastes saisissants qui guident le regard et servent la lisibilité de l’action.

Le design des créatures et surtout des Gardiens spectraux est le point culminant de ce travail de passionnés. La réinterprétation des quatre fantômes est une pure merveille de créativité. Loin des formes rondes et amicales de l’arcade, nous avons affaire à des abominations complexes et terrifiantes, dont chaque détail visuel raconte une histoire et informe sur leurs capacités. Blinky, le colosse enragé, ou Pinky, l’assassin fulgurante, sont des réussites totales qui s’impriment durablement dans la rétine du joueur. Les animations, qu’il s’agisse de la fluidité acrobatique de l’Épéiste n°8 ou des mouvements uniques de chaque ennemi, sont d’une qualité exceptionnelle et apportent une véritable crédibilité à cet univers. En fin de compte, la présentation visuelle de Shadow Labyrinth est la promesse initiale du projet, mais entièrement tenue. Elle est si puissante qu’elle parvient souvent à faire oublier les frustrations du gameplay. On accepte de mourir en boucle contre un boss en partie parce que le spectacle est tout simplement grandiose. C’est la preuve qu’une direction artistique visionnaire peut transcender les autres aspects d’un jeu et créer une expérience mémorable, même lorsque celle-ci est imparfaite sur le plan mécanique. C’est l’atout majeur, indiscutable, qui sauve Shadow Labyrinth de la médiocrité.

Bande Sonore
À l’instar de sa direction artistique, la bande sonore de Shadow Labyrinth est une autre de ses grandes réussites, un élément qui contribue de manière cruciale à l’immersion et à l’identité unique du jeu. Le travail de composition et de sound design est d’une finesse remarquable, parvenant à créer une ambiance sonore dense et évocatrice tout en rendant un hommage subtil et intelligent à ses racines arcade. La musique d’ambiance est une masterclass de minimalisme électronique. Plutôt que d’opter pour des mélodies orchestrales grandiloquentes, les compositeurs ont tissé des paysages sonores à base de nappes de synthétiseurs analogiques, de rythmes industriels froids et de textures sonores glitchées. Cette approche crée un sentiment omniprésent de solitude et de désolation, qui épouse parfaitement les environnements décrépits de la planète Xylos. La bande-son sait se faire discrète, laissant le joueur seul face aux échos de ses pas et aux bruits inquiétants qui peuplent le labyrinthe, avant de se déployer lors de la découverte de nouvelles zones pour en souligner la majesté ou l’horreur. Les thèmes de combat, et plus particulièrement ceux des boss, contrastent avec cette ambiance feutrée. Ce sont des déferlements d’énergie, des morceaux de « dark synth » et d’électro-rock agressifs qui font grimper le taux d’adrénaline.

Chaque thème de Gardien est unique et reflète la personnalité de l’adversaire, transformant ces affrontements difficiles en moments de pure intensité audiovisuelle. L’utilisation de l’héritage de Pac-Man est d’une grande subtilité. Les mélodies et bruitages iconiques ne sont jamais plaqués de manière grossière. Ils sont intégrés en filigrane : une séquence de notes de la musique originale peut être entendue, ralentie et distordue, dans un thème d’exploration ; le son d’une pac-gomme peut être transformé en un « ping » sinistre marquant un point d’intérêt. Ces clins d’œil intelligents sont des récompenses pour l’oreille attentive et créent un pont fascinant entre l’univers sombre du jeu et ses origines légères. Au-delà de la musique, le design sonore est d’une précision chirurgicale et joue un rôle essentiel dans le gameplay. Le son cristallin d’une parade réussie est un feedback gratifiant, tandis que le bruit strident d’une attaque ennemie imminente est une alerte vitale. Les différents bruits de pas, les grognements des créatures, le son métallique des plateformes qui s’activent… tout participe à rendre le monde vivant et à donner au joueur des informations cruciales sur son environnement. La bande sonore de Shadow Labyrinth est donc une réussite quasi-totale. Elle est la compagne parfaite de la direction artistique, créant une synergie qui forge l’atmosphère inoubliable du jeu. Elle est si efficace qu’elle rend les défauts de gameplay d’autant plus regrettables, car on imagine le chef-d’œuvre qu’aurait pu être le jeu si tous ses aspects avaient atteint un tel niveau d’excellence.

Conclusion
Au final, que retenir de Shadow Labyrinth ? Après avoir exploré ses couloirs sombres, affronté ses gardiens impitoyables et pesé ses immenses qualités face à ses défauts frustrants, le jeu s’impose comme une œuvre de contradiction, une fascinante occasion manquée. C’est le prototype parfait du jeu qui divise car il excelle dans les domaines de la présentation tout en trébuchant sur les fondations de l’interaction. D’un côté, il est impossible de ne pas être subjugué par sa vision. La réinvention de l’univers de Pac-Man est un coup de génie, et sa traduction en une direction artistique et une bande sonore d’exception force le respect. Le jeu est souvent d’une beauté à couper le souffle, son atmosphère est palpable, et son monde est un plaisir à contempler. Sur ces points, Bandai Namco a livré une performance de premier ordre qui restera dans les mémoires. D’un autre côté, un jeu vidéo reste une expérience interactive, et c’est là que le bât blesse. Shadow Labyrinth est un Metroidvania moins agréable à jouer qu’à regarder. Ses contrôles manquent de la précision nécessaire à son niveau d’exigence, sa difficulté semble souvent artificielle et son level design, par moments laborieux, peut transformer l’exploration en une corvée. Ces frustrations mécaniques sont suffisamment importantes pour éclipser, pour de nombreux joueurs, les qualités artistiques du titre.

Alors, à qui s’adresse Shadow Labyrinth ? Il n’est clairement pas destiné aux joueurs cherchant un Metroidvania poli et fluide dans la veine des plus grands noms du genre. Il est plutôt à conseiller à une niche de joueurs très spécifique : ceux qui privilégient l’ambiance et la direction artistique avant tout, ceux qui ont une patience quasi infinie pour surmonter des frustrations liées au gameplay, et ceux qui sont si séduits par le concept qu’ils sont prêts à pardonner ses nombreuses maladresses d’exécution. C’est un jeu qui demande de l’effort, et qui ne le récompense pas toujours à sa juste valeur. En somme, Shadow Labyrinth laisse un goût amer, celui d’un chef-d’œuvre potentiel qui s’est perdu en chemin. C’est un diamant brut, magnifique à observer, mais dont les arêtes sont si coupantes qu’il est difficile à manipuler. Il restera comme un cas d’école de l’ambition démesurée, un jeu culte pour certains, un échec frustrant pour d’autres, mais assurément une expérience qui, pour le meilleur comme pour le pire, ne laisse personne indifférent.
