Le passage de témoin entre Tarsier Studios et Supermassive Games pour Little Nightmares III était l’un des événements les plus scrutés du calendrier horrifique. L’attente était simple : retrouver l’ambiance macabre, les énigmes ingénieuses et la narration muette d’une série déjà culte. Ce troisième opus, qui introduit le mode coopératif en ligne (ou en solo avec une IA), nous plonge dans La Spirale (The Spiral), un nouveau carrefour d’horreurs exploré par deux nouveaux enfants : Low et Alone. Si le jeu réussit brillamment à maintenir l’identité visuelle de la franchise, l’innovation est-elle toujours au rendez-vous avec ce changement de studio ? Verdict dans notre test, les amis !

Scénario
L’histoire de Little Nightmares III se déroule dans La Spirale, un ensemble de lieux interconnectés par des miroirs brisés, agissant comme des portails vers de nouveaux cauchemars. Low et Alone, nos nouveaux protagonistes, cherchent une issue hors du Nulle-Part (The Nowhere). Comme de coutume, le récit est entièrement dénué de dialogues, laissant l’interprétation aux décors, aux créatures grotesques et à la relation naissante entre les deux enfants.
L’audace scénaristique est cependant moins prononcée que dans les épisodes précédents. Si les environnements comme la Nécro-ville ou le Carnavale sont visuellement saisissants, les antagonistes (le Bébé Monstre, l’Oeil du Superviseur) peinent à atteindre la même dimension d’horreur psychologique et de mémorabilité que le Concierge ou le Chasseur. Ils incarnent des peurs spécifiques, mais leur mise en scène semble plus balisée. Le fil narratif de la coopération, où les deux enfants s’entraident face à l’adversité, est efficace, mais l’ambiguïté et la noirceur terminale de l’histoire sont moins choquantes. La fin, tout en maintenant la tradition de l’ouverture à l’interprétation, laisse un sentiment d’inachevé, voire de précipitation. Pour décortiquer l’intégralité du lore, le joueur est désormais fortement encouragé à se tourner vers les médias trans-médias (comics, podcast The Sounds of Nightmares), ce qui dilue l’impact du récit principal. Le cœur de l’histoire, la fuite incessante et l’amitié face à l’horreur, est touchant, mais la toile de fond n’est pas aussi marquante.

Gameplay
L’innovation principale de Little Nightmares III réside dans son gameplay coopératif pour deux joueurs. Low est équipé d’un arc et de flèches (utiles pour atteindre des mécanismes ou créer des tyroliennes), tandis qu’Alone manie une clé à molette (servant à briser des objets, interagir avec les engrenages ou étourdir). La progression repose intégralement sur l’utilisation combinée de ces outils.
Ce mécanisme de duo donne lieu à des énigmes bien pensées qui exigent une coordination précise. Cependant, le jeu ne parvient pas toujours à exploiter le plein potentiel de cette dynamique. De nombreux passages ressemblent à des puzzles déjà vus dans les précédents opus, où l’un pousse une caisse pendant que l’autre monte. En mode solo, l’IA contrôlant le second personnage est remarquablement compétente, mais elle a le défaut de résoudre parfois les énigmes avant même que le joueur n’ait eu le temps de réfléchir, nuisant au sentiment d’accomplissement.
Les phases de stealth et de poursuite, l’ADN de la série, sont toujours nerveuses et bien chorégraphiées, notamment dans le chapitre du Carnavale. Néanmoins, leur structure en « stop-and-start » (se cacher, puis courir) devient prévisible, et le jeu continue d’être frustrant par moments à cause d’une perception de la profondeur parfois imprécise dans ses sauts et ses plateformes. Le gameplay est fonctionnel, poli et rythmé, mais il manque cruellement de moments véritablement novateurs qui secoueraient la formule bien établie.

Graphismes
S’il y a un domaine où Little Nightmares III brille sans réserve, c’est celui de sa direction artistique et de sa réalisation technique. Supermassive Games a réussi une prouesse en conservant et en magnifiant l’esthétique « horriblement mignonne » de la franchise. Les graphismes sont un festin visuel macabre, utilisant le moteur de jeu pour pousser la qualité des textures, l’éclairage et l’échelle à un niveau supérieur.
L’éclairage et les ombres sont les véritables stars du jeu. L’ambiance lugubre et poisseuse est construite sur un contraste saisissant entre les ténèbres abyssales et les lumières chaudes mais inquiétantes (les phares, les ampoules nues, le flash de la clé à molette). Cette gestion de la lumière n’est pas qu’esthétique ; elle est essentielle à la tension et au gameplay de dissimulation.
Chaque environnement de La Spirale est un tableau vivant et désolé : la Nécropole ensevelie sous le sable, la fête foraine sinistre, l’usine de bonbons infernale. Le design des environnements est riche en détails, renforçant le sentiment d’écrasement et de vulnérabilité des petits héros. Les modèles des monstres, bien que moins inventifs que par le passé, sont animés avec fluidité et malice, accentuant leur dangerosité. Le jeu est techniquement impeccable, tournant avec une grande fluidité et confirmant que l’héritage visuel de Little Nightmares est entre de bonnes mains. C’est un monde à la fois repoussant et irrésistiblement fascinant à contempler.

Bande Sonore
La bande sonore de Little Nightmares III est une réussite essentielle à l’immersion horrifique. Dans un jeu muet, l’audio porte une immense charge narrative et émotionnelle, et le sound design est réglé au millimètre. Plutôt qu’une musique orchestrale constante, le jeu s’appuie sur une utilisation magistrale du silence et des bruits d’ambiance.
Chaque niveau possède son propre paysage sonore terrifiant : les grincements de métal, les souffles de vent étranges, les murmures indistincts. L’utilisation du son spatialisé est cruciale, transformant un simple craquement de plancher derrière la caméra en un avertissement de danger imminent, maintenant le joueur en alerte permanente. Les bruits de pas des antagonistes sont souvent lents, lourds et amplifiés par les basses fréquences, provoquant une peur viscérale par la simple résonance.
La musique intervient principalement pour souligner les moments de pure panique, avec des cordes dissonantes et des percussions rapides, ou pour exprimer la mélancolie avec quelques notes de piano isolées. Elle est utilisée avec intelligence et parcimonie, ne surchargeant jamais l’atmosphère, mais servant toujours à intensifier l’émotion. Le son de l’arc de Low qui claque ou le choc de la clé à molette d’Alone rappellent constamment leur fragilité et leur unique moyen d’interaction avec le monde hostile. C’est une partition d’une efficacité redoutable, qui achève de construire l’univers oppressant de La Spirale.

Conclusion
Little Nightmares III est un jeu très bon, mais non sans défauts. Il s’agit d’une itération qui a choisi la sécurité plutôt que la révolution. Le gameplay coopératif est une addition bienvenue, offrant une nouvelle manière d’aborder les énigmes, mais il ne parvient pas toujours à masquer le sentiment de répétition de certains défis. La direction artistique et la bande sonore sont de pures réussites, confirmant la place de la franchise parmi les références de l’horreur atmosphérique.
Cependant, le jeu est plus court que prévu, son scénario est moins percutant et ses monstres moins mémorables. Pour un nouveau studio prenant les rênes, la prudence est compréhensible, mais les fans de longue date regretteront peut-être le manque d’audace narrative et ludique qui caractérisait les précédents chefs-d’œuvre.
Little Nightmares III reste un voyage fascinant et terrifiant au cœur des peurs enfantines. Il est chaudement recommandé pour ceux qui souhaitent découvrir la série en coopération ou pour les fans qui veulent retrouver l’ambiance unique du Nulle-Part. C’est un jeu de transition, un excellent « cover act » comme certains critiques l’ont souligné, qui assure la survie de la franchise avec brio, mais qui laisse l’envie d’un véritable bond en avant.
Verdict : Un cauchemar bien ficelé, mais un peu trop familier.
